Pourquoi la psychanalyse reste pertinente à l’adolescence
Entre perte des repères et quête de soi, la psychanalyse offre aux adolescents un espace unique pour penser ce qui se transforme.
L’adolescence : une traversée psychique
En cabinet, les adolescents arrivent souvent porteurs d’un malaise diffus : anxiété, colère, retrait, crises silencieuses ou explosions de révolte.
Derrière ces symptômes, se joue quelque chose de plus profond : un bouleversement de la subjectivité. L’adolescence n’est pas qu’une période de transition biologique — c’est un remaniement du lien entre le corps, le désir et le monde.
L’enfant vivait encore sous la protection d’identifications parentales relativement stables. L’adolescent, lui, se confronte à leur chute. Les repères symboliques vacillent, le corps devient autre, le regard des autres pèse. Tout est à réinventer : le rapport à soi, à la loi, au plaisir, au temps.
Une crise du sens plutôt qu’un trouble
La société contemporaine tend à pathologiser l’adolescence. On parle de troubles anxieux, de phobie scolaire, de perte de motivation, de dépendance aux écrans.
Mais la psychanalyse rappelle que ces manifestations ne sont pas des « dysfonctionnements » : elles sont des tentatives de symbolisation.
L’angoisse, la révolte ou le mutisme traduisent le travail d’un sujet en construction, qui cherche, souvent à son insu, une place possible dans le monde.
Là où la psychologie comportementale vise à « corriger » ce qui déborde, la psychanalyse choisit d’écouter ce débordement comme un langage. Elle considère que ce désordre a un sens, et qu’il mérite d’être entendu.
Le transfert : une rencontre qui fonde le sujet
Dans la cure, l’adolescent n’est pas un patient à normaliser, mais un sujet à accueillir.
Le transfert — ce lien singulier qui se tisse entre l’analyste et lui — devient un lieu d’expérimentation symbolique. L’adolescent y éprouve la possibilité d’une parole qui ne soit ni contrôlée par les parents, ni évaluée, ni jugée.
Le psychanalyste n’est ni un éducateur, ni un confident. Il occupe une position neutre, stable, parfois énigmatique, qui permet au jeune de tester la solidité de l’Autre.
Défiance, provocation, silence, ou au contraire attachement intense : tout cela fait partie du transfert adolescent, de cette mise à l’épreuve de la parole et du lien. C’est dans cet espace tiers que peut s’élaborer un nouveau rapport au désir, distinct de celui des parents.
À l’ère du numérique : trop d’images, pas assez de mots
Le monde numérique a bouleversé les repères symboliques. L’adolescent est aujourd’hui saturé d’images et de discours qui s’adressent à son narcissisme : likes, comparaisons, performances, mises en scène.
Mais ce flux permanent laisse peu de place au manque, à l’attente, au silence — ces expériences pourtant nécessaires à la construction du sujet.
La psychanalyse, en introduisant le temps de la parole, oppose au rythme accéléré des écrans la lenteur du dire. Elle permet d’éprouver ce qui, dans le corps et dans le psychisme, résiste à la transparence et à la norme.
Une éthique de la singularité
La psychanalyse demeure précieuse à l’adolescence parce qu’elle ne cherche pas à adapter, mais à écouter ce qui se cherche.
Elle offre au jeune un lieu où il peut s’autoriser à ne pas savoir qui il est, à interroger ses contradictions, à faire exister sa différence.
C’est une éthique de la singularité : chaque adolescent y est accueilli non comme un « cas », mais comme un sujet en devenir, traversé par des désirs, des peurs, des pertes et des inventions.
Dans un monde saturé d’idéaux de performance et de conformité, la psychanalyse maintient vivante la possibilité d’une parole libre — d’un espace où le sujet peut dire sans devoir se justifier, ni se définir trop tôt.
Un lieu pour exister autrement
L’adolescence n’est pas une maladie à soigner, mais une épreuve à traverser.
La psychanalyse accompagne cette traversée en offrant un espace de mise en sens : un lieu où le chaos intérieur peut devenir langage, où la solitude peut se dire, où le sujet peut expérimenter sa propre voix.
Face à la pression des normes et à la saturation des images, elle rappelle l’importance du manque comme condition du désir.
Et peut-être est-ce là sa plus grande modernité : permettre à chaque adolescent de devenir, par la parole, l’auteur de son énigme — plutôt que le produit d’un discours sur lui.